Introduction

En 2025, à l’heure où la science décortique sans relâche l’univers et l’esprit humain, revenir aux premiers chapitres de la Bible peut sembler anachronique. Pourtant, le récit de la Création selon la Genèse, loin d’être un simple manuel de cosmologie, demeure une porte d’entrée privilégiée vers un dialogue harmonieux entre foi et raison. Cet essai propose une synthèse orthodoxe, puisant à la fois dans la richesse patristique et dans l’exigence intellectuelle contemporaine, pour dépasser l’impasse du littéralisme exclusif et offrir une lecture à la fois fidèle à la lettre et attentive à la portée spirituelle du texte.


I. Les limites du littéralisme

A. Incohérences apparentes

  1. Lumière avant les astres : Genèse 1,3 crée la lumière avant le Soleil et la Lune (Genèse 1,14–19), rendant impossible une mesure astronomique du « jour ».
  2. Soir et matin sans rotation terrestre : le concept cyclique des jours présuppose un astre et un mouvement dont la Genèse ne rend compte que plus tard.
  3. Récits d’Adam et Ève : deux versions (Genèse 1,26–27 et 2,7–22) paraissent contradictoires si on les lit comme un reportage séquentiel.
  4. Symboles biologiques : le serpent parlant ou l’arbre de la connaissance relèvent d’une allégorie spirituelle plus que d’une zoologie ou d’une botanique littérales.

B. Le piège du concordisme

  • Excès chronologiques : l’archevêque Ussher (1650) fixa l’origine de la Terre à 5 904 ans, illustrant la tentation d’instrumentaliser le texte en manuel scientifique.
  • Rationalisme réducteur : à l’autre extrême, dénier toute profondeur au récit biblique le voue à un simple mythe sans portée théologique.

Ces deux excès témoignent d’une même dérive : transformer la Genèse en exposé cosmologique plutôt qu’en hymne théologique.


II. Une lecture patristique : Tradition et sens pluriel

A. Les Pères de l’Église

  • Saint Augustin (354–430) : les « jours » sont des modalités intelligibles, non des périodes temporelles (De Genesi ad litteram, I,2).
  • Saint Basile le Grand (330–379) : dans ses Hexaèmeron, il ménage une approche littérale tout en soulignant la visée pédagogique et liturgique du récit.
  • Origène (vers 185–253) : moque l’idée d’un jardin botanique divin et incite à déchiffrer les symboles.
  • Saint Grégoire de Nysse (335–395) : voit dans le mythe de la création d’Ève l’annonce de la communion humaine et de la vocation sacerdotale de l’homme.

B. Les quatre sens de l’Écriture

  1. Littéral (σαρκικός) : l’événement narré.
  2. Allégorique/typologique (πνευματικός) : figure du Christ et de l’Église.
  3. Tropologique/moral (ηθικός) : leçon éthique pour l’âme.
  4. Anagogique (ἀναγωγικός) : dimension eschatologique et mystique.

Appliqué à la Genèse, ce cadre permet de lire l’apparition de la lumière comme une préfiguration christologique et la structure en deux triades (séparation puis remplissage) comme une architecture liturgique menant à l’accomplissement eschatologique.


III. Orthodoxie et sciences naturelles : une complémentarité hiérarchisée

A. Légitimité du « comment » scientifique

La cosmologie, la géologie ou la biologie explorent le « comment » des êtres et des processus. Ces découvertes, loin de menacer la foi, l’enrichissent en dévoilant la sagesse de l’action divine.

B. Primauté du « pourquoi » théologique

La foi répond aux questions ultimes : « Pourquoi y a‑t‑il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi l’amour et la beauté ? » Ces pourquoi échappent par nature à l’investigation empirique.

C. Fondements non négociables

  1. Dieu unique Créateur.
  2. L’homme à l’image divine et appelé à la théosis.
  3. La chute et la Rédemption comme axes structurant la révélation biblique.

IV. Témoigner aujourd’hui : pastorale et dialogue

A. Comprendre les sensibilités

Reconnaître le désir sincère des littéralistes de protéger la Parole et l’inquiétude des scientifiques face à un littéralisme jugé antiscientifique.

B. Argumenter avec charité et fermeté

S’appuyer sur les Pères, recentrer le débat sur la finalité spirituelle plutôt que sur la datation du cosmos, et rappeler que la Mission de l’Église porte avant tout sur la transformation intérieure.

C. Proposer une foi ouverte

L’Orthodoxie offre un chemin où croire ne signifie pas cesser de penser, mais oser une lecture multiforme, mêlant rigueur intellectuelle et contemplation mystique.


Conclusion

La Genèse n’est ni un manuel scientifique ni un simple mythe, mais un récit sacré à plusieurs niveaux de sens. La Tradition patristique nous invite à conjuguer lettre et esprit, foi et raison, pour contempler un monde temple et l’homme comme son prêtre. Ni enfermement littéral, ni relativisme désespéré : l’Orthodoxie propose une lecture vivante et équilibrée, ouverte au savoir honnête et centrée sur la divinisation de l’homme.